Rien ne s'oppose à la nuit - Delphine De Vigan

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  « La douleur de Lucile, ma mère, a fait partie de notre enfance et plus tard de notre vie d’adulte, la douleur de Lucile sans doute nous constitue, ma sœur et moi, mais toute tentative d’explication est vouée à l’échec. L’écriture n’y peut rien, tout au plus me permet-elle de poser les questions et d’interroger la mémoire. La famille de Lucile, la nôtre par conséquent, a suscité tout au long de son histoire de nombreux hypothèses et commentaires. Les gens que j’ai croisés au cours de mes recherches parlent de fascination ; je l’ai souvent entendu dire dans mon enfance. Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l’écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre. Aujourd’hui je sais aussi qu’elle illustre, comme tant d’autres familles, le pouvoir de destruction du Verbe, et celui du silence. Le livre, peut-être, ne serait rien d’autre que ça, le récit de cette quête, contiendrait en lui-même sa propre genèse, ses errances narratives, ses tentatives inachevées. Mais il serait cet élan, de moi vers elle, hésitant et inabouti. »

 

C’est le premier roman de la rentrée littéraire que j’ai eu envie de lire. Et le seul lu à ce jour d’ailleurs. J’aime généralement beaucoup ce que fais Delphine De Vigan et la quatrième de couverture m’interpellait vraiment. J’aime lire les récits autobiographiques des auteurs dont j’ai lu presque l’intégralité des œuvres. Cela ouvre un nouveau regard sur leurs précédents travaux. On retrouve en général des personnages, des anecdotes de nos lectures passées. Et savoir quelle est la part de vérité, quels rôles ils/elles ont vraiment joué dans la vie de l’auteur me captive.
Je pourrais aussi vous parler de la couverture et de la beauté de la jeune femme qui se trouve dessus. Je me demande maintenant, après lecture, si c’est une vraie photo de Lucile. Ça collerait tellement. Mais. Et puis le titre aussi. Petite phrase piquée à Bashung dans sa chanson ‘Osez Joséphine’… Comment ne pas avoir envie de se saisir de ce livre hein ?!

Pour moi la lecture de ce livre n’a pas été comme celui de n’importe quel autre roman. Je ne sais pas trop comment vous expliquer mais je n’ai jamais vraiment eu l’impression de lire un livre, une histoire. Ce que j’essaie de dire c’est que ma lecture n’a jamais été faite avec la distance qui se met habituellement en place entre le livre et nous. Ça m’a plus donné l’impression d’une longue lettre que m’aurait envoyé Delphine De Vigan [On peut rêver hein ^^] pour me raconter son histoire, sa vie, ses (dé)constructions. Je trouve que l’écriture relève plus du discours que de l’écriture construite et linéaire qui sont d’habitude propres aux romans.
Cette lecture a été très dure, violente. Delphine De Vigan n’a pas pour habitude d’écrire sur des choses gaies ou sans relief mais là c’était comme un coup de poing en pleine face. Je le re dis mais vraiment cette absence de distance entre les mots et moi n’a fait qu’augmenter l’horreur et la violence de l’échange. Delphine De Vigan nous livre un récit tellement intimiste, tellement fort qu’on a du mal à l’imaginer sur toutes les tables des librairies. On se prend en pleine tête toutes les horreurs de la vie, combien elle peut s’acharner, frapper, gratter toujours au même endroit.

Et bien sur ce roman a encore remué en moi la question du ‘Pourquoi écrire ?’ ou plus largement ‘Pourquoi créer ?’ Je reste convaincu que l’art, l’écriture ne naissent pas sans faille(s). Sans blessures. Et que, plus la plaie est béante plus le résultat est beau. Oui je me rends bien compte de l’horreur de ce que je suis entrain de dire. Mais plus j’évolue dans ce monde-là et plus je me dis que c’est cela créer. C’est écrire avec son sang, avec sa vie, avec les inachevés, les pourquoi, les larmes, les rancœurs avec tout ce qui remue au plus profond de nous. Je suis persuadée que quelqu’un créé pour combler, remplir la faille qui est en lui. Pour mettre en mots, en couleurs, en son ou en image ce qui danse en lui sans jamais qu’on puisse réellement l’attraper. C’est vouloir, écrire, dire, le gris, les interrogations. Les faire sortir. Les détacher de nous-mêmes. Les écrire, les dire, les dessiner, les jouer encore et encore, jusqu’à anéantissement. Anéantissement de l’humain. Ou de toutes ces choses maintes et maintes fois remuer. Au choix. Delphine De Vigan dit à un moment qu’elle a entendu dire que le talent de Van Gogh aurait été encore plus grand, plus fulgurant s’il n’avait pas été fou. Est-ce qu’elle le croit vraiment ? Moi je ne peux pas. Et son livre en est la preuve vivante. Elle ne pouvait pas faire autre chose, avec une histoire, un passé pareil, que de créer. Que de venir enchanter notre monde avec ses mots…

Comme je viens de le dire plus haut, l’homme créé pour savoir qui il est. Les œuvres comme autant d’esquisses d’identités. Comme éternelle recherche de soi. Comme énième tentative de survie. Je ne peux qu’admirer le courage qu’il a du falloir à Delphine De Vigan pour fouiller, creuser, remuer, interroger, gratter sous les croutes pour accéder à la vérité. SA vérité. Au fil des pages elle nous livre ses doutes et questionnement quant à son travail. Comment elle vit cette quête de son histoire, de sa vérité. Comment elle voudrait s’approcher au plus près de Lucile. Au plus près d’elle-même. Ce que ça remue en elle. Ce que ça déchire en elle.
Son livre m’a fait penser à un texte d’Arnaud Catherine que j’aime beaucoup. J’aime beaucoup cet auteur tout court de toute façon. Une des thématiques qui revient souvent dans ses ouvrages est celle du « livre impossible ». Suivent ici des extraits d’une de ses correspondances avec Oliver Adam [qu’il faut lire lui aussi ^^], je crois que tous les extraits ont été écrits par Oliver Adam mais l’idée est là et je n’ai pas le courage je vous avoue d’aller refeuilleter tous les livres d’A.Cathrine dans mes étagères pour vous trouver un extrait de lui.

 

 « Il y a des tas de choses auxquelles je pense tous les jours sans jamais les réaliser. Ecrire un  vrai livre, je veux dire un livre imprudent et cru, un livre dangereux et irresponsable. Me barrer sans laisser d’adresse. Me tirer une balle dans la tête, ce qui revient au même, selon Perros (les suicidaires ne veulent pas mourir, ils veulent disparaître). Arrêter de boire. Me mettre à boire sérieusement. Faire un régime. Grossir et devenir Jim Harrisson « physiquement ». Dire à chacun ce que je pense exactement et tirer un trait sur ceux qui m’emmerdent et que je garde auprès de moi un peu lâchement. Voilà. Tout un fatras de trucs adolescents mais comme dit Arno, l’autre, je ne veux pas être grand. »


 

 

« Au final il faudrait écrire des livres comme si vraiment on était sûr de mourir ou de disparaître juste après le point final. Et encore. Même là, même là on penserait aux proches, on y penserait, on y pensera, on y pense, au mal qu’on va faire, à leur tristesse, leur colère.»

[http://www.arnaudcathrine.com/pdfs/correspondance-adam-cathrine.pdf]



  

 

Delphine De Vigan durant toute l’écriture de ce livre s’est posé ces questions. Elle évoque souvent l’impact possible de ce livre sur ses proches. Sa peur de. Mais l’envie d’écrire Lucile, d’écrire pour Lucile est plus forte. Plus qu’une envie, un besoin. Une nécessité. Et cette lutte entre le « je peux-je dois-j’ai besoin» qui a du la remuer tout au long de l’écriture m’interroge, me captive et m’impressionne. Je trouve ça tellement fort, tellement grand d’avoir réussi à. De s’être lancé là dedans. D’être arrivé au bout. D’avoir essayé malgré tout. De s’être heurté à elle-même. D’avoir pris le risque de.

"Écrire sur sa famille est sans aucun doute le moyen le plus sûr de se fâcher avec elle. […]Je tire à bout portant et je le sais. […]La terreur dans laquelle m’a plongée la lecture du très beau livre de Lionel Duroy, Le chagrin, qui revient sur son enfance et raconte la manière radicale et sans appel dont ses frères et sœurs se sont éloignés de lui…il est le traître, le paria.

La peur suffit-elle à se taire ?"

Ce livre m’a aussi fait pensé au film de Maïwenn ‘Pardonnez-moi’ que j’ai visionné récemment et qui m’a fait le même effet. Cette absence de barrière entre le spectateur et ce qui est dit. La violence des propos qu’on se prend en pleine face. La recherche de la vérité. De SA vérité. La réception de ce film par ses proches. Tout. Tout était là aussi. Et tout m’a renversé de la même manière.

Je sais, je ne dis rien de cette mère déchirée, piétinée dès la naissance. Qui a fait ce qu’elle a pu avec ce qu’elle avait. Qui est allé au bout d’elle-même tant de fois. Et qui a tellement peiné à en revenir. Cette femme qu’on ne parvient jamais ni totalement a aimer, ni totalement a haïr. Mais pour lequel tout au long du roman né un profond respect, une tendresse en pointillé. Je sais que c’est là le sujet principal du roman. Que Delphine De Vigan a voulu lui rendre un hommage un peu particulier.

"Sans doute, avais-je envie de rendre un hommage à Lucile, de lui offrir un cercueil de papier – car de tous il me semble que ce sont les plus beaux - et un destin de personnage."

J’ai été touché par ce personnage, par cette personne en fait. Par son vécu. Par tout ce qu’elle traverse. Mais ce roman m’a remué au-delà de ça. Au delà de ce qu’il raconte. Il a amené un questionnement sur la démarche plus que sur le contenu. Et puis je crois qu’on le veuille ou non, qu’on ne peut écrire que sur soi. Et donc ce roman nous/me ramène inlassablement a ce qu’elle est. Au pourquoi et comment de ce livre. A elle.
Pour illustrer ce que j’essaie de dire ici, je vous laisse avec cette citation de Laurent Binet dans son livre ‘HHhH’ [dont je n’ai lu que des extraits de ci de là…] :
« Ceux qui sont
morts sont morts, et il leur est bien égal que l'on leur rende hommage. Mais c'est pour nous les vivants que cela signifie quelque chose. La mémoire n'est pas d'autre utilité à ceux qu'elle honore, mais elle sert celui qui s'en sert. Avec elle, je me construis, et avec elle je me console. »

Voilà vous avez le parfait exemple de ce que je suis : tout et son contraire. Deux livres qui m’ont complétement retournée : « Novecento :pianiste » et « Rien ne s’oppose à la nuit ». La première chronique où les mots et impressions sont délivrées au compte-goutte et celui-ci où je n’arrive plus à m’arrêter d’écrire… Je m’arrête ici en vous laissant ce lien (
http://chroniquesdelarentreelitteraire.com/2011/09/entretiens-avec-les-auteurs/interview-de-delphine-de-vigan-pour-rien-ne-soppose-a-la-nuit) vers une interview de Delphine De Vigan au sujet de son livre. En espérant tout de même ne pas vous avoir trop ennuyé et vous avoir donné envie de vous emparer de ce roman aussi magnifique que bouleversant.

« J'écris Lucile avec mes yeux d'enfant grandie trop vite, j'écris ce mystère qu'elle a toujours été pour moi »

  

  

 

Une dernière chose : cette lecture est en fait une lecture croisée que j'ai réalisé avec

Marion.





 

 

Publié dans des-livrez-moi

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K
Ecrire en effet, créer, c'est souvent transformer les blessures en beautés.<br /> La merde en déesse.<br /> Faire germer sur la bouse de nos errances les fleurs de l'enchantement.
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M
J'aime ton article, la façon dont il est écrit, les différentes questions que tu soulèves... Je vois qu'on a pas vraiment eu le même point de vue sur ce roman... Moi, il m'a complètement<br /> bouleversée, et j'ai lu de manière très rapide les passage où Delphine De Vigan parle de cette enquête, ce livre, en les appréciant parce qu'ils me permettaient de me reposer, de reposer tout ce<br /> que ce récit soulevait en moi... Toi ça t'a surement plus interessée parce que tu écrit, et je trouve que ce que tu dis est terriblement vrai. Il faut avoir vécu quelque chose pour écrire...
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